Mis en ligne le 08/12/2008
De nombreux livres scolaires d’Arabie saoudite ou de Palestine présentent “l’autre” en tant qu’ennemi du peuple. Pas au Quatar et en Tunisie où ils poussent à la tolérance.
L’âme de l’Europe est la tolérance”, déclarait Angela Merkel à la cérémonie officielle de célébration du 50e anniversaire du Traité de Rome. “Notre histoire”, a-t-elle ajouté, “nous oblige à promouvoir la tolérance non seulement à travers l’Europe, mais sur la terre entière et à aider tous ceux qui la mettent en œuvre”. Madame Merkel n’est pas la seule. D’autres leaders européens s’expriment également souvent sur la valeur de la tolérance, comme il est de bon ton de le faire. Mais dans quelle mesure ces prises de position sont-elles traduites en politiquesconcrètes?
À l’échelle globale, l’idéal d’éducation à la tolérance balise l’agenda de l’UNESCO depuis quasiment sa création, telle qu’exprimé dans la “Déclaration de principe sur la Tolérance” proclamée et signée par les États membres en 1995: “sans tolérance, il ne peut y avoir de paix; et sans paix, il ne peut y avoir de développement ou de démocratie [] L’éducation est le moyen le plus efficace de prévenir l’intolérance”.
Pourtant, cette philosophie n’est pas pratiquée dans le cursus de la majorité des pays du Moyen Orient, même s’ils sont signataires de cette Déclaration de principes. Les livres scolaires d’Arabie Saoudite, d’Egypte, d’Iran, d’Israël, de l’Autorité palestinienne (sous le gouvernement du Fatah et du Hamas), de Syrie et de Tunisie ont été analysés par l’”Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education”, un think tank indépendant spécialisé dans l’analyse des ouvrages scolaires, et les résultats sont frappants: dans la plupart des cas, la tendance est à faire l’apologie de l’agressivité et des préjugés, notamment à travers “l’autre” présenté en tant “qu’ennemi du peuple” ou “d’ennemi de la foi” et qui doit être blâmé pour les conflits et maux qui frappent la société, sans véritablement pousser l’analyse un peu plus loin. D’autre part, “l’autre” est parfois soumis à un processus de déshumanisation, de diabolisation voire on appelle carrément à son annihilation.
Les livres scolaires publiés par le gouvernement Hamas de l’Autorité palestinienne en 2006 sont assez exemplaires à cet égard, comparant les Juifs à une invasion de serpents: “Par votre vie! Comment est-il possible que ces serpents nous envahissent et que nous observions encore à leur égard un pacte de protection?” (Livre de Langue Arabe – Science linguistiques, grade 12, 2006, p.67). Al-Fateh, le magazine en ligne pour enfants du Hamas (http://al-fateh.net) non seulement diabolise les Israéliens et les Juifs et incite à les anéantir ainsi que l’Etat d’Israël – “Al Quds (Jerusalem) restera un devoir en nos mains et celles de tous les musulmans, qui s’uniront et se rassembleront pour sa libération et la libération de la Palestine de l’impureté des sionistes, qui descendent des singes et des porcs”(Issue 129, août2008); [] “Avec l’aide d’Allah, l’Etat juif maudit sera totalement détruit” (Issue 43, janvier2005) – mais diabolise également l’Occident: “L’ennemi juif tue le peuple de notre chère Palestine, alors que les USA, le Royaume-Uni et les autres pays européens l’aident” (Issue 2, octobre2002), “L’Amérique est la terreur, mon enfant, elle est le fléau qui détruit elle est la vipère qui répand le poison en moi” (Issue 15, octobre2003).
Les livres d’école saoudiens ne se démarquent pas beaucoup, et abondent en expressions d’hostilité, de racisme et d’intolérance à l’égard de “l’autre”, à savoir les chrétiens et les juifs: “le combat de cette nation [la nation musulmane] contre les juifs et les chrétiens continue, et il durera toujours Les juifs et les chrétiens sont les ennemis des croyants [les musulmans] (Hadith, grade 9, p.148-149). Les chrétiens et les juifs sont accusés de faire partie d’une conspiration à l’encontre des musulmans: “Il n’y a aucun doute que la puissance des musulmans irrite les infidèles et suscite l’envie dans le cœur des ennemis de l’Islam, c’est-à-dire les chrétiens, juifs et autres. En conséquence, ils conspirent contre eux, unissent leurs forces contre eux, les oppriment et saisissent chaque opportunité d’éliminer des musulmans” (Géographie du Monde Musulman, grade 8, p.116). Des tendances génocidaires vis-à-vis de “l’autre” apparaissent même dans le contexte de cours de religion apocalyptiques: “Il est rapporté par Abu Hurayrah que le messager d’Allah a dit: le jour du Jugement Dernier ne viendra pas avant que les musulmans combattent les Juifs et les tuent tous” (Hadith, grade 9, p.148-149).
Comme s’il n’y avait pas assez de raison de s’inquiéter, la présence de tels livres scolaires dans les “King Fahad Academies” (réseau d’écoles internationales créé par l’Arabie saoudite) de Londres et de Bonn met en lumière les enjeux et l’importance de cette problématique.
Cependant, cela ne veut pas dire que ce type d’enseignement intolérant est généralisé au Moyen Orient, dans le monde arabe ou islamique. En Tunisie, une approche entièrement différente peut être mise en évidence, à la suite d’une profonde réforme entamée par le ministère de l’Éducation. Les livres scolaires tunisiens mettent en évidence l’importance de la tolérance, de la paix et du dialogue avec “l’autre” et sa culture (notamment l’Occident), utilisent la religion dans un objectif de rapprochement universel, plutôt que d’aliénation, et réduit l’idéal du martyr et du djihad à des faits historiques. Les extraits suivants sont assez parlants à cet égard: “un cortège funèbre passe à Médine, le prophète Mohammed se leva et nous levâmes également. Nous dîment: O Messager d’Allah, ceci sont les funérailles d’un Juif”. Il dit alors: “N’est-ce pas une âme? À chaque cortège funèbre que voyez, levez-vous!” (Éducation islamique, grade 9, 2007, p.32); “la tolérance, en conséquence représente l’idée de base du Coran. Comment se fait-il alors que certaines personnes ont fait du Livre Divin un instrument de bigoterie et d’étroitesse d’esprit?” (Textes littéraires, grade 9, 2007, p.159); “Il est impossible aujourd’hui de percevoir notre existence en dehors du dialogue avec “l’autre” “L’autre” est essentiel et le dialogue avec lui – sous quelque forme que ce soit – est nécessaire” (Textes littéraires, grade 13 – sciences, 2007, p.154)
Le Qatar est un autre Etat arabe qui a mis en œuvre une politique de réforme de ses ouvrages scolaires, avec l’aide du “RAND-Qatar Policy Institute”, notamment en introduisant des nouvelles perspectives soulignant l’importance, dans un monde en rapide évolution, d’une diffusion de la tolérance à travers l’éducation. Ces programmes de cours progressistes aideront certainement à créer un débat salutaire sur la place de “l’autre” dans les sociétés du Golfe.
Investir dans l’éducation à la paix et à la tolérance vis-à-vis de “l’autre” est crucial pour le progrès du Moyen Orient et des lendemains qui chantent que nous souhaitons tous.
Il est évident que les programmes d’éducation qui rejettent “l’autre” et en appellent à la lutte violente, au martyr et à la mort, ne contribuent pas à cet objectif.
Il nous paraît important que les leaders européens se souviennent davantage des mots de la Chancelière Merkel et utilisent le pouvoir qui est entre leurs mains pour lutter contre l’influence nuisible de certains types d’enseignement fanatiques mais aussi pour soutenir ceux qui promeuvent l’échange, le dialogue et le respect pour “l’autre” dans un Moyen Orient tourmenté.